|
Malgré l'exode,
à cette époque, il restait encore beaucoup d' Européens,
sans parler des Harkis, en Algérie. Tous n'avaient pas pu
quitter le pays, faute de place sur les transports traversant la
Méditerranée, ou peut-être parce qu'ils voulaient
jouer le jeu de la nouvelle Algérie indépendante.
Au village d'Hennaya, restaient les parents de Gilette. Bien sur,
ils étaient connus de tous, très aimés et appréciés
dans la région. Mais par ces temps troublés, on ne
savait pas trop ce qu'il pouvait arriver ?
Gilette rassura ses parents : « Si il y a des difficultés,
vous pourrez toujours aller vous rffing>iez à Oran . Je
vous laisse les clefs de mon appartement en ville. Et puis début
juillet, vous viendrez nous rejoindre à l'adv. Nous passerons
l'été ensemble. »
À Paris, le ménage avait trouvé un appartement
de fonction près du Lycée Lacanal, parfait pour la
scolarité des enfants. Début juillet, Yvon parvint
à retenir 2 places pour ses beaux-parents sur un avion militaire.
Ce ne fut pas facile. Donc en ce 5 juillet, depuis 2 jours déjà,
Maxime et sa femme, se trouvaient à Oran dans l'appartement
familial de leurs enfants. Ils avaient demandé à André,
vingt ans, leur neveu, domicilié dans la grande ville, s'il
accepterait de les conduire en auto à la Sénia ( aérodrome
d' Oran), leur avion partant à 14 heures. Rendez-vous fut
pris pour 11 heures du matin. On chargea les bagages. Puis par cette
chaude journée de juillet, ils prirent la direction de la
Sénia. L'oncle près du chauffeur, la tante à
l'arrière.
Dans les rues et boulevards, calme absolu. aucune animation, silence
de mort. Ils remontaient le boulevard National pour prendre la route
de la Sénia, quand non loin de la grande Synagogue, un cadavre
sur le trottoir... Bizarre !!! mais on en avait vu d'autres depuis
7 ans. Plus loin, un autre cadavre. Une patrouille de soldats F
L N les arrête. Le Sergent leur demande leurs papiers. Il
les interroge : « Où l'ont-ils ? Que font-ils dans
la rue ? »
Heureusement, l'oncle Maxime s'exprimait parfaitement en arabe.
Sans difficulté, il s'explique : « Nous allons à
la Sénia prendre un avion militaire poor rejoindre à
Paris nos enfants. Notre gendre y est affecté en tant que
Colonel de l'armée française. »
Changement de ton et de regard du sergent musulman. Il se méfie
. Sans explication, il fait accrocher un soldat de chaque côté
des pare-chocs de l'auto. Lui monte à l'intérieur
de la voiture, abandonnant la patrouille à sa soi-disant
surveillance des lieux. Direction le commissariat de police faisant
face à la « maison du colon » ( syndicat agricole).
Là tout le monde descend. En chemin, il avait expliqué
: la population musulmane doit se faire justice en exécutant
tous les O.A.S. de la ville. C'est pourquoi on tire sur tous les
européens qu'on rencontre. Et pour n'oublier personne, on
enfonce les portes des appartements et on tire dans le tas !...
Au commissariat, Maxime explique qu'ils ne sont pas oranais, mais
de Tlemcen. Les policiers peuvent prendre des renseignements sur
leur compte etc. ... Palabre.
On les enferme dans une chambre, d'où ils entendent force
cris et hurlements. Au bout d'un certain temps Maxime est emmené.
Recommandation est faite à la tante et à André
de n'ouvrir la fenêtre sous aucun pré-texte. Et toujours
ces cris... A l'oncle on dit :
tous les renseignements sur votre compte sont bons ! On a téléphoné
ù Tlemcen. Ouf !! » Alors , on le fit descendre dans
la cour du commissariat. On lui remit un seau.
On lui montra le robinet d'eau. On lui dit de jeter des bidons d'eau
sur tout le sang qui sortait des portes qui entouraient la cour,
d'où s'échappaient des cris et des hurlements. La
tante dans son cagibi priait. Elle frôla la crise cardiaque.
Elle se demandait ce qui avait bien pu arriver à son mari
et s'ils pourraient sortir de cet enfer. Au bout de 2 heures, Maxime
reparut effondré, à bout de nerfs.
Immédiatement on les emmena dans le hall du commissariat.
Puis très vite les policiers les tirent sortit dans le rue
où trois autos les attendaient le long du trottoir. Ils montèrent
dans la voiture du centre. Au volant, le sergent FLN qui les avait
arrêtés, André assis à coté de
lui ; à l'arrière l'oncle et la tante à qui
on remit un drapeau algérien à tenir déployé
par la vitre ouverte. La et 3' voiture chargées de soldats
en uniforme, drapeaux algériens déployés par
les vitres ouvertes.
Le convoi se dirigea à toute allure vers la Sénia,
où, l'avion, prêt à décoller les attendait
encore, sans grand espoir de les revoir. La tante dans ses larmes
et son dés-espoir avait fait promettre au sergent de ramener
André chez lui : il n'est pas coupable !
Il a seulement voulu nous rendre service ! si vous avez une grand-mère
vous devez nous comprendre. Et le sergent comprit !!... Il ramena
André à la maison. Peut-être avait-il été
impressionné par le grade de Colonel du gendre de l'oncle
Maxime ? Peut-être la plaidoirie de l'oncle en faveur de leur
innocence avait-elle été efficace ? Où peut-être
tout simplement le colloque, plus que tardif, du Général
Coste, commandant l' espace militaire français d'Oranie,
avec les nouvel-les autorités Algériennes, avait-il
porté ses fruits.
Pour André, le lendemain matin son père lui fit prendre
le 1er cargo pinardier en partance pour Marseille. Pour lui, c'était
plus raisonnable et plus sûr !
Témoignage de Madame Paulette
Leutenegger In Mémoire vive CDHA N°26 |
|